Plan B : maman solo par choix

Salut. Je m’appelle Anna et j’ai 36 ans. Il y a quelques mois, j’ai franchi l’autre moitié de la trentaine. Seule, en plein confinement COVID, un verre de vin à la main et en écoutant Bridget Jones (oui, je sais, rien pour aider), j’ai soufflé ces bougies qui portent une lourde signification pour bien des femmes. Je suis passée de l’autre côté de la trentaine, du côté obscure.  Cette phase de la vie où notre corps nous place devant un ultimatum sur lequel nous n’avons pas de contrôle : bébé ou pas bébé. Pas de contrôle… du moins, c’est ce que je me disais à ce moment. J’y reviendrai.

Si on recule de quelques années et on retourne dans la vingtaine, je me souviens avoir entendu parler de ce passage où les femmes sentaient leur horloge biologique sonner très fort, apportant ainsi une certaine urgence de produire la vie. Je rigolais en voyant ces femmes, ne sachant pas à ce stade de ma vie si je voulais moi-même avoir des enfants. Vous savez la fille qui entre dans une pièce où il y a un bébé mais qui préfère se diriger vers le chien de la place? C’était moi. Je ne savais pas quoi faire avec les bébés. J’étais intimidée si bien que j’ai développé la vision suivante : ma carrière d’abord et si la vie faisait en sorte que j’aie un enfant, ce serait super. Sinon, ce serait tout autant acceptable pour moi. C’est donc avec une belle dose de naïveté et en me laissant porter par mon destin que j’abordais cette importante question. 

J’ai  entrepris de faire des études. De très longues études qui allaient me mener à une carrière passionnante. À un moment crucial de ces études, mon copain avec qui j’étais depuis plusieurs années décida de lever les feutres d’une manière très questionnable. Son prétexte était qu’il était prêt à débuter «sa vie de grande personne» et que je ne pouvais pas le suivre dans les projets d’adultes considérant le temps que j’accordais à mes études. Ce fut un échec retentissant sur le coup, même si avec du recul, je le remercie de s’être retiré de ma vie. 

Je me suis retroussé les manches et je suis passée à travers mes études. Un marathon si prenant qu’il m’était difficile de m’investir pleinement dans une relation amoureuse. Après un essai avec un gars qui me plaisait beaucoup et qui m’avait servi la même raison pour me laisser (faut croire que le profil étudiante fin vingtaine n’était pas sexy pour ces trentenaires), j’ai pris la décision de mettre la sphère amoureuse entre les mains de la Déesse de l’amour. Comprendre ici : ne faire aucun effort en ce sens mais demeurer ouverte. J’étais pauvre, j’avais le nez dans mes livres de 8h à 20h même les fins de semaine, je jonglais entre les cours, les stages, la rédaction… laissez-moi vous dire que la déesse avait un sacré contrat. Inutile de mentionner que l’amour fut absent de ma vie pendant cette période. J’ai donc accepté l’idée que mon «amoureux» de ce chapitre de vie aurait les initiales suivantes : Ph.D. (le titre de mon programme scolaire).

Je suis sortie de l’école à 31 ans. Je me sentais déphasée par rapport à la vie normale des gens de mon âge. Les gens ne comprenaient pas pourquoi j’avais étudié siiiiiii longtemps.  De mon côté, un rien m’émerveillait et je me sentais libre. Tout était beau et la vie m’appartenait. Comme j’avais été en mode «sacrifices» pendant un bon bout de temps à cause des études, les petites choses de la vie me paraissaient superbes. Parlant de sacrifices, comme j’étais déjà bien entraînée à me contenter de peu, j’ai décidé de me partir en affaires. Ouais, comme si je n’en avais pas eu assez. Par contre, au final, ma réflexion était logique je pense : j’avais mis tellement d’efforts à me construire une profession que j’aimais, j’avais envie de la pratiquer selon mes conditions et de laisser libre court à mon côté entrepreneur. C’est ce que j’ai fait, avec succès.

Dans la première année de ce lancement d’entreprise, s’en m’y attendre, un gentil homme est venu à ma rencontre. Nous avons été ensemble quelques années. 

Chaque relation nous apporte quelque chose et celle-là m’a permis de m’ouvrir pour la première fois à la possibilité de fonder une famille.  Au début de notre relation,  mon copain me disait attendre mon signal pour aller de l’avant avec les enfants. Il m’attendait. C’était moi qui étais sur les freins en raison du démarrage de ma business. Je voulais prendre le temps de me placer professionnellement, ce qu’il a bien-sûr respecté. 

Doucement et de manière de plus en plus soutenue, l’idée de devenir mère s’est fait une place solide dans mon cœur. Je me suis surprise à me dire que je serais capable d’élever un enfant et que la vie aurait beaucoup plus de sens si j’avais un petit être à mes côtés que je pourrais voir grandir. Je me surprenais à me dire que j’aimerais lui transmettre certains apprentissages qui m’auraient été utiles et l’aider à être la meilleure personne qui soit. Bref, je devenais vraiment profonde et émotive pour une fille qui doutait initialement de sa volonté à procréer! 

Ah oui, petit détail non négligeable : il faut savoir que je suis longue à décider, mais que lorsque je m’engage dans une voie, je le fais pleinement. Je suis le genre de personne qui passe de longues minutes sur le bord de la piscine avant de sauter à l’eau. Une fois trempée, je barbotte comme s’il n’y avait pas de lendemain. Dans ma vie, c’est exactement ce qui se passe. Donc…

 J’ai engagé une employée pour mon entreprise pour préparer le terrain dans le but de mettre le projet bébé en branle. Je me suis informée pour savoir combien coûterait une aide à la maison pour les premières années.  J’observais nos amis avec leurs bébés. Je forgeais peu à peu une image de la mère que je souhaiterais être. Je suis passée à un cheveu de commander la bible des futures mamans («Naître et grandir») mais une petite voix intérieure m’a dit que je devais me calmer les nerfs et attendre. 

Et surtout, j’ai demandé à mon grand-père de me construire un théâtre de marionnettes.  Il l’a bâti avec énormément d’amour en comprenant instinctivement ce que cela signifiait. Sous l’œil attentif et complice de ma grand-mère, nous l’avons décoré ensemble. Pendant tout ce processus, nous nous sommes rappelé combien j’aimais les spectacles de marionnettes quand j’étais toute petite. Nous nous sommes projetés dans l’avenir en entrevoyant ce que seraient les soirées avec ce beau théâtre lorsque j’aurais un enfant. 

Bon, avec du recul, je reconnais que c’était un peu intense. Est-ce que cette intensité a fait peur à mon conjoint de l’époque? Peut-être. Mon copain s’est mis à se renfermé sur lui-même de façon insidieuse et à se déconnecter de notre relation. Je ne comprenais rien. C’était pourtant lui qui attendait mon signal pour les bébés. N’étant pas du genre à abandonner facilement, j’ai passé 8 mois à essayer de le comprendre. J’ai consulté, j’ai fait des réflexions sur ma façon d’être en relation, j’ai modifié des choses dans mon comportement, je lui ai laissé de la liberté et l’espace pour qu’il réfléchisse à ce qu’il voulait. Malgré tout, il  a choisi de me laisser. 

J’ai donc plié bagages, j’ai quitté notre belle maison et me suis retrouvée dans un petit 3 ½. Pour moi, c’était définitivement un pas en arrière, un espèce de retour à l’équivalent de ma vie d’éternelle étudiante que j’avais pris plaisir à oublier. Le moment le plus difficile dans tout ça? C’est lors de mon déménagement, quand mon père a attaché le théâtre de marionnettes dans son trailer pour l’amener dans  le garage de la maison familiale où il serait entreposé en attendant…  en attendant quoi? À ce moment là, l’avenir me paraissait bouché. Quel symbole d’échec que de voir ce théâtre déposé au mieu des pneus d’été, des boîtes et des vieux pots de peinture. 

Je me suis donnée un temps pour vivre mon deuil de cette relation. Mon cœur a guéri et la volonté de rencontrer à nouveau s’est fait sentir.  

C’est à ce moment qu’un homme a fait son entrée dans mon histoire.  Il était parfait pour moi. Parfait tout court. Nous avions plusieurs intérêts communs, une curiosité intellectuelle qui nous permettait d’avoir des discussions stimulantes, un cheminement de vie semblable (études  et carrière), des valeurs et traits de personnalité qui s’alignaient bien. Je me suis surprise à imaginer de quoi aurait l’air mon théâtre de marionnettes dans son sous-sol (ben oui!). J’y ai cru. Le seul problème c’est que le gars s’est mis à démontrer de plus en plus d’ambivalence dans sa façon d’être et de vivre notre début de relation. Il a fini par me dire qu’il n’était pas prêt à s’engager. Je me suis rendue à l’évidence et j’ai eu l’humilité de lire entre les lignes : «He is just not that into you. Let it go». 

J’ai eu de la peine (j’en ai encore aujourd’hui, mais bon, je n’ai d’autres choix que d’opter pour le lâcher prise). J’ai donc consacré quelque temps à faire ce que les filles font de mieux  dans de telles circonstances: me remettre en question, me demander ce que j’aurais pu faire/dire de mieux, penser lui écrire pour clarifier les choses,  penser lui écrire pour l’envoyer promener (« I curse the day you were born»), considérer reprendre avec mon ancien copain, planifier crucifier tous les hommes sur la terre, pleurer, faire le bilan de toutes les relations que j’ai eues et essayer de trouver les points communs, trouver injuste d’avoir un vagin plutôt qu’un pénis, me demander pourquoi les autres y arrivent et pas moi, pleurer, jouer compulsivement aux dés de la destinée pour savoir ce que l’avenir me réserve, manger du chocolat, m’entraîner comme une dingue. Et cette foutue pandémie. Comme si je n’avais déjà pas suffisamment de soucis? Mon horloge fait tic-tac et voilà que le covid s’installe dans nos vies. Fait chier… 

Une bonne giffle et je me suis ressaisie. «Hey Anna, tu as deux options. Soit tu ressasses tous les échecs que ces dernières années t’ont fait vivre et tu te positionnes en victime ou tu les vois comme des défis qui t’ont permis d’en apprendre plus sur toi et tu t’en sers pour rebondir et te ramener à ce qui est important dans ta vie.» J’ai choisi la deuxième option. Et quand je pense à ce qui est important pour moi à ce stade-ci de ma vie, je pense définitivement «bébé».

Ok, élément technique à prendre en compte dans la réalisation du «projet bébé» : je suis encore seule et il me faut des spermatozoides. Il s’agit d’un pré-requis important, me direz-vous.

C’est un fait : je ne suis pas capable de m’imaginer me mettre en couple avec un gars correct qui est gentil mais qui ne me procure pas de giligilis. Je ne veux pas de beige, je veux des paillettes. Et je ne veux surtout pas me dépêcher d’être en couple au risque de ne pas avoir bien cerné le gars et de me ramasser avec un genre de psychopathe qui s’habille en femme en faisant du lipsing sur Céline Dion dans le sous-sol pendant que je suis partie me faire faire une manucure. 

Vous pouvez m’apposer l’étiquette de fille difficile, je m’en fous. Il y a deux choses que mes échecs amoureux m’ont fait réaliser : d’une part, je sais mieux reconnaître ce que je vaux et d’autre part, je ne suis plus prête à faire des compromis sur les valeurs importantes pour moi en relation. Par conséquent, l’option qui semble la plus approprié à ce moment-ci de ma vie est la suivante : faire un bébé en solo grâce à la procréation assistée. 

Déjà, il m’a fallu un temps pour faire le deuil de la famille parfaite et traditionnelle que j’aurais aimé construire. Je crois que ce deuil n’est pas complètement fait puisque je garde espoir de rencontrer un homme qui me plait vraiment dans les deux prochaines années. Toutefois, le fait d’avoir la possibilité de faire un enfant en solo, d’y voir des avantages, de me projeter et d’entrevoir que je pourrais être pleinement heureuse dans ce setup, me fait le plus grand bien.  Je cueille l’information, je me prépare et je garde cette carte dans mon jeu au cas où la Déesse de l’amour en aurait fini avec moi. Ça me permet de m’enlever une pression énorme.  

Je garde la porte ouverte aux rencontres, mais je me prépare en parallèle et je tente de recueillir les récits de «mères gériatriques en solo par choix». Ouais, mesdames âgées de 35 ans et plus, sachez que certains médecins nous appellent de cette façon. Sexy non? 

J’ai même commencé à en parler à mes proches. À mon grand étonnement, les gens me supportent et m’encouragent dans cette voie. J’y vais doucement mais avec beaucoup de transparence et d’authenticité. Je suis prête à recevoir les inquiétudes, les préjugés, les doutes et les peurs des gens qui m’entourent. J’y vois une occasion de prévenir les coups et de m’y préparer le plus possible. 

Jusqu’à maintenant, mes discussions m’ont amenées à préciser certaines choses. Je veux que les gens sachent que…

  • Je n’abandonne pas ma recherche de l’amour. J’y crois encore. J’en fais simplement un dossier parallèle à celui d’avoir un enfant. Surtout, je me priorise dans ce qui est important pour moi à cette période de ma vie. Je suis lucide et réaliste. Je reconnais et accepte les limites de mon corps. 
  • Je sais qu’il faut parfois être patiente, que les choses arrivent quand on s’y attend le moins, que «the one» m’attend peut-être au détour d’une allée d’épicerie entre les conserves et les pâtes alimentaires. Certaines personnes m’ont conseillé d’attendre me disant connaître plusieurs femmes qui ont eu un coup de foudre dans la fin trentaine et qui sont tombées enceinte à 42 ans. Oui, cette idée est rassurante et me plait beaucoup. Est-elle réaliste? La pragmatique et rationnelle que je suis en doute. Est-ce que je suis prête à prendre le risque de passer à côté d’une grossesse au cas où le scénario de rêve se produirait? Est-ce que j’ai si envie d’être un cas extrême dans la distribution de données? Non… Je préfère prendre les rênes. 
  • Au cas où vous seriez tentés d’avoir des préjugés… Je ne suis pas féministe, mes échecs amoureux ne m’ont pas amenés à détester les hommes et à penser que je n’ai pas besoin d’eux pour faire un enfant. Ce n’est pas une façon détournée de faire un doigt d’honneur à la vie en disant que je vais m’arranger toute seule. Je ne suis pas une lesbienne refoulée non plus. Je pense qu’il faut avoir une conceptualisation multifactorielle de l’amour : un mélange de chance, d’efforts pour rencontrer de bonnes personnes, de timing, de critères, de réciprocité.  Malheureusement, il semble que ces conditions n’aient pas été réunies dans mon cas jusqu’à présent. 

J’ai choisi d’écrire ce texte pour, peut-être, rejoindre certaines femmes qui  pourraient partager cette réflexion. J’aimerais leur dire qu’elles ne sont pas seules et que ce questionnement peut réellement être souffrant. Je voulais leur donner un conseil qui m’a beaucoup servi : être flexibles, souples et faire preuve d’ouverture d’esprit afin de pouvoir voir et considérer toutes les options qui se présentent à elles.  Parce que oui, il y a des options. Et le simple fait de trouver un plan B qui nous convienne diminue de façon marquée l’inconfort qu’on peut vivre face à des questions aussi importantes. Nous sommes en 2020 : il n’y a pas de mauvais scénario tant que nous faisons un choix éclairé et qu’il nous permet d’aller dans le sens de nos valeurs. 

Signé, une potentielle-future-maman-en-solo par choix

Anna

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